Méfiez-vous de la « fatigue de la prudence »
Par Dre Andrea Piotrowski
Office régional de la santé de Winnipeg
Publié le lundi 22 juin 2020
Si votre motivation à suivre les conseils des experts contre la COVID-19 est à la baisse, et que la tentation vous prend de négliger l'éloignement physique, l'hygiène des mains et les autres directives en matière de préservation de la santé, vous risquez de contracter le tout nouveau « microbe » de la pandémie qui s'ajoute à la menace.
Ce « microbe » cause la « fatigue de la prudence », une affection qui est maintenant à la hausse.
Un sondage de l'Angus Reid Institute, publié le 15 juin, est révélateur à ce sujet :
- Seulement 36 % des Canadiennes et Canadiens disent s'abstenir encore d'aller dans les espaces publics, autant qu'ils le faisaient au début de l'épidémie de COVID-19.
- Seulement 56 % d'entre eux continuent de se tenir à l'écart des autres autant qu'au début du printemps, alors que c'est l'un des aspects les plus importants de la prévention de la transmission du virus dans la collectivité.
- La majorité des Canadiennes et Canadiens (59 %) estiment que le pays a traversé la période la plus difficile liée à la maladie.
Ces résultats sont bien loin de ceux des premiers jours de la pandémie, lorsque les nouvelles en provenance de régions durement touchées, comme la Chine et l'Italie, ont suscité la peur chez les gens, entraînant un respect strict des conseils émis par les responsables de la santé publique.
Quelques semaines ont suffi à faire cette énorme différence!
Nous voyons maintenant plus de gens se toucher le visage, négliger de se laver les mains et même ignorer des directives simples comme suivre les flèches au supermarché. Alors, on se demande pourquoi il s'est produit un changement aussi soudain.
La réponse est en grande partie fournie par la science du comportement humain. Ici, au Manitoba, nous avons admirablement bien réussi à limiter la propagation de la COVID-19. Il n'y a pas eu beaucoup de cas par comparaison, ce qui amène les gens à croire qu'ils sont en sécurité et que les avertissements et directives des experts en soins de santé ne sont peut-être plus aussi pertinents qu'ils l'étaient au début. Après des mois de prudence, et à présent, avec le désir de profiter du beau temps, il est compréhensible que les gens soient fatigués de faire attention à ce virus que la plupart d'entre nous n'avons pas contracté, ni leur famille ni leurs amis.
Cette hypervigilance prolongée commence à se transformer en fatigue de la prudence.
Mais le problème, c'est que le virus de la COVID-19 ne prend pas de vacances l'été. Au contraire, la plupart des experts s'accordent à dire qu'une deuxième vague menace. En fait, les médias font état d'une augmentation importante des cas dans plusieurs États américains et dans d'autres pays.
Avec ou sans deuxième vague, il ne fait aucun doute que, sans vaccin contre le virus de la COVID-19, le risque persiste, quels que soient nos chiffres actuels.
Dans une telle situation, il importe de regarder nos comportements et de faire attention à ne pas succomber à la complaisance rampante qui découle de la fatigue de la prudence.
Il faut d'abord accepter que la fatigue de la prudence est une réaction normale après une longue période de stress. Fatigués après des efforts d'adaptation au changement, nous ressentons le besoin d'exercer un pouvoir sur notre vie personnelle. Nous pourrions exploiter ce besoin en adoptant une approche altruiste de l'application constante des mesures de précaution, c'est-à-dire en axant nos façons de faire sur une préoccupation désintéressée du bien-être des autres, en particulier de ceux dont la santé est plus fragile et pour lesquels le risque est plus grand.
Deuxièmement, nous pouvons tous prendre en charge notre propre santé. Cette prise en charge comporte l'exercice, une bonne alimentation, un sommeil réparateur et l'auto-compassion. Heureusement, chacune de ces mesures peut s'appliquer à domicile et auprès des personnes avec qui nous cohabitons, ce qui nous permet de les pratiquer autant que nous voulons sans avoir à prendre de précautions supplémentaires, sauf si nous sommes actifs ailleurs que chez nous ou en groupe. Pour conserver l'énergie nécessaire à la poursuite de nos efforts, il faut prendre du temps pour soi tout en nous félicitant du travail accompli jusqu'à présent.
La pratique de la gratitude et l'adoption d'un différent point de vue sur notre situation, plus positif, sont d'autres moyens de gagner le combat contre la fatigue de la prudence. Nous passons plus de temps chez nous, ce qui donne à beaucoup d'entre nous la possibilité de nous rapprocher de nos enfants, de perfectionner nos compétences en cuisine ou d'acquérir de nouvelles compétences et de nouveaux passe-temps. Ce genre de réalisations nous permet de constater que nous nous en sortons très bien. Nous en sommes capables.
Enfin, n'oublions pas que la pandémie est temporaire. Elle prend plus de temps à passer que nous le voudrions, mais nous savons que, « ça aussi, ça passera ». Nos plus brillants penseurs du monde entier travaillent fort pour produire un vaccin, qui permettra inévitablement un retour à la normale.
La nature temporaire de cette anomalie est particulièrement importante pour les personnes les plus durement touchées par la pandémie, de façon disproportionnée pour celles qui ont perdu leur emploi, vécu des conflits relationnels, fait face à des déceptions ou connu une mauvaise passe quant à leur bien-être mental. Si vous-même ou une connaissance faites partie de l'une de ces catégories, assurez-vous de prendre le temps d'avoir recours à l'une des nombreuses formes d'aides offertes. Vous pourriez commencer par jeter un coup d'œil à la liste des mesures de soutien du site Web suivant : manitoba.ca/covid19/bewell/managestress.html (en anglais seulement).
Nous avons trop bien progressé pour laisser la fatigue de la prudence gâcher notre réussite. Continuez donc à écouter les experts et à faire preuve de bon sens lors de l'assouplissement des restrictions. Mais surtout, gardez espoir. Nous allons nous en sortir.
La Dre Andrea Piotrowski est psychologue clinique au programme de psychologie clinique de la santé du Centre des sciences de la santé de Winnipeg. Cet article a été publié dans le Winnipeg Free Press lundi 22 juin 2020.